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Le Tchad s’apprête à tourner la page de la transition

Reliou Koubakin | Carole Assignon
6 mai 2024

Le scrutin de ce lundi 6 mai est le premier qui se tient après la présidentielle de 2021 qui a vu la victoire d’Idriss Deby Itno qui a régné pendant trente années sans partage sur le Tchad.

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Des électeurs font la queue avant de voter à N’Djamena (06.05.2024)
La veille du scrutin, l’Ange, l’organe de gestion des élections, a demandé aux électeurs d’aller voter et de faire entendre leur opinion Image : Desire Danga Essigue/REUTERS

De tous les pays en transition en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, le Tchad est le tout premier à organiser des élections qui doivent aboutir à un retour à l'ordre constitutionnel.  La transition a débuté il y a trois ans  sous la conduite du général Mahamat Idriss Déby  Itno. Il a été désigné à la tête de la transition après trente années de règne sans partage de son père, le maréchal Idriss Deby Itno, mort dans les combats contre les rebelles du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT) en avril 2021. Mais la transition sous le fils, adoubé par la France, est contestée dès les premières heures.

Jeudi noir : des morts dans les villes tchadiennes

Le jeudi 20 octobre 2022, plusieurs manifestants sont tués alors qu’ils protestent contre la prolongation de la transition. Une cinquantaine de personnes sont tuées, selon le pouvoir, 300, selon plusieurs ONG. Succès Masra, le président du parti les Transformateurs prend le chemin de l'exil pour ne rentrer qu'un an plus tard à la faveur d'un accord signé à Kinshasa, fin octobre 2023. Le 1er janvier 2024, il est nommé Premier ministre suscitant la colère de ses anciens alliés de la société civile et de l'opposition.

Des jeunes manifestent à Moundou, dans le sud du pays, contre le prolongement de la transition (20.10.2022)
Le gouvernement a voté une loi d’amnistie après les manifestations du 20 octobre Image : Hyacinthe Ndolenodji/REUTERS

Le tout nouveau Premier ministre est confronté dès les premières semaines de sa prise de fonction à la dure réalité du pouvoir : crise du carburant, délestages intempestifs. La colère monte. Succès Masra n'y peut rien.  

Le Tchad fait aussi face à la  crise des réfugiés soudanais. Le pays est voisin de la Centrafrique en crise où est implanté le groupe paramilitaire russe Wagner. Mais les questions sécuritaires ne vont pas déterminer le vote des huit millions d’électeurs, estime Ahmat Dabio expert tchadien en gestion des conflits et président du centre d’études pour le développement et la prévention de l’extrémisme (CEDPE). 

"Il y a des questions prioritaires comme le délestage de l’électricité, comme la pénurie de l’eau, les conflits intra-communautaires, la corruption, le détournement. Ce sont ces questions qui intéressent les Tchadiens : la pénurie de carburan ou l’insécurité interne du Tchad. Et puis aussi un sujet très important : l’implication du Tchad dans le conflit soudanais. Les Tchadiens sont fatigués de la guerre et ne souhaitent pas s’impliquer dans un conflit qui leur rapporte par la suite le malheur."  

Le Tchad est un pays producteur de pétrole depuis 2003. Mais plus de 42% des 18 millions de Tchadiens vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Le Tchad est par ailleurs le deuxième exportateur mondial de gomme arabique brute et donc un acteur majeur de ce secteur. Mais "le pétrole a fini par représenter quasiment 80% du PIB national", précise Remadji Hoinathy, chercheur principal pour l'Institut d'études de sécurité (ISS). Mais malgé ces ressources, l'indice de développement humain (IDH) du Tchad n'a pas évolué, selon M. Hoinathy qui pointe du doigt la mauvaise gestion et le mode de gouvernance. Il indique que les moyens ont été renforcés au profit de l'armée, cela au détriment des servcies de base. 

Soif de changement

"C’est la question de l’alternance qui se pose aujourd’hui" (Allasembaye Dobingar)

Pour le Allasembaye Dobingar, enseignant-chercheur à l’université de N’Djamena, les populations ont soif de changement. 

Pour le géographe, "il faudrait voir effectivement comment les choses vont se passer aujourd’hui pour se fixer sur l’ampleur de la mobilisation et les possibilités qu’il peut y avoir qu’ils aient gain de cause".

"C’est la question de l’alternance en fait qui se pose aujourd’hui. C’est pour cela que tout le monde se bat aujourd’hui. Le régime fait tout pour garder ses acquis." 

Le scrutin se tient en l’absence du farouche opposant du chef de la junte, Yaya Dillo, tué fin février dans l’assaut du siège de son parti. Dix candidats sont en compétition pour ce scrutin censé mettre fin à la transition. Outre la seule femme, l’ancienne ministre Lydie Beassembda et l’ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacke, tous deux anciens candidats à la dernière présidentielle, les deux chefs de l’exécutif, le Premier ministre du sud Succès Masra et le président de la transition du nord Mahamat Idriss Deby Itno sont candidats.

Mais le géographe Allasembaye Dobingar estime que la question du vote ethnique est dépassée. Ahmat Dabio pense aussi que les Tchadiens s’accrochent de moins en moins à ce clivage nord-sud qui ne leur a pas apporté la stabilité.  

L’armée a voté dimanche (05.05.2024) avant que les civils ne votent lundi (06.05.2024)
L’armée tchadienne est considérée comme favorable au pouvoir en place, selon des observateurs Image : Blaise Dariustone/DW

"Vous voyez Abéché qui normalement doit être le fief de Mahamat Idriss Deby Itno, les gens ont accueilli Succès Masra à bras ouverts. Il a une popularité. Aujourd’hui, les gens sont conscients qu'il y ait un changement avec ou sans Masra. Et la crainte, c’est que l’armée interveinne au cas où Mahamat Idriss Deby perd le pouvoir." 

Plusieurs observateurs avaient prédit un match amical, au moment de l’annonce de la candidature de Succès Masra face à Mahamat Idriss Deby Itno. Mais devant ce que le docteur Ahmat Dabio qualifie de "percée populaire de Succès Masra", il y des risques de contestations du scrutin présidentiel. 

Filmer les procès-verbaux ou non ?

Ces contestations peuvent naître en raison de la question des procès-verbaux. La question avait déjà agité l’opinion publique tchadienne avant le début du scrutin.  Faut-il les photographier ou non ? L’agence nationale de gestion des élections le déconseille, craignant des publications incontrôlées sur les réseaux sociaux. Après son vote ce matin, le candidat Succès Masra a déclaré que les délégués dans les bureaux de vote ont le droit de filmer le procès-verbal.

Pour Yoyona Badiara, ancien ministre et ancien magistrat, rien n’empêche de filmer les procès-verbaux. "Quand vous lisez un procès-verbal à haute voix, ce n’est pas le rendre public ? Celui qui écoute peut enregistrer. L’enregistrement de la lecture peut se faire en audio ou en vidéo. Un délégué ne peut pas prouver qu’il a signé le procès-verbal si on ne l’autorise pas à filmer. Les responsables de l’Ange sortent des décisions, des circulaires qui contredisent les lois et les décrets qu’ils ont eux-mêmes mis en place." 

Selon cet ancien ministre, même si des observateurs ont prédit un match amical entre Succès Masra et Mahamat Idriss Deby Itno, il y a des risques de soulèvement : "il n’y a pas de match amical, vous allez voir que ces amis vont être des antagonistes et non des protagonistes, l’antagonisme est là et visible dans tous les propos."

DW Französisch Carole Assignon
Carole Assignon Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welledw_afrique